08.03.22

Interview de Carmelo Iannuzzo

L’ACSR – Atelier de création sonore et radiophonique célèbre ses 25 ans.
Interview de Carmelo Iannuzzo à cette occasion.

Créé en 1996, l’ACSR, dirigé par Carmelo Iannuzzo, accompagne à la production et diffusion les récits sonores radiophoniques. Il est un véritable espace de liberté(s) qui permet l’expérimentation et la recherche, et encourage ainsi la diversité artistique.

L’ACSR est un des piliers de la création radiophonique en Fédération Wallonie-Bruxelles et permet avec l’aide du Fonds d’aide à la création radiophonique (FACR), que les créateur.trice.s soient connu.e.s et reconnu.e.s nationalement et internationalement. La Belgique francophone, en effet, remporte de nombreux prix à l’étranger et est invitée dans de nombreux rendez-vous internationaux tels que le Prix Phonurgia Nova, Prix Europa, Prix Longueur d’ondes, NewYork Radio Award Festival, pour diffuser les œuvres.

Cependant, le secteur est encore précarisé et invisible, quelles sont les pistes envisagées et les solutions, selon toi, pour sanctuariser davantage la création sonore en FWB ?

Cette question n’est pas nouvelle et elle a été motrice et rassembleuse lors de la genèse de l’atelier de création sonore radiophonique en 1996, suite à un désinvestissement quasi-complet de la radio de service publique vers des émissions qui « demandaient trop d’heures de fabrication et trop de personnel qualifié ». C’est à ce moment d’ailleurs que le terme ‘création radiophonique’ a été brandi en Belgique francophone – car il était indispensable d’identifier tant un type de contenu à valeur créative, qui apportait une autre écoute et un autre rapport à notre monde et notre imaginaire (que le simple « music & news » ou le format d’émission plateau avec l’animateur•rice-vedette) ; mais également indispensable de défendre des pratiques, des savoirs-faires, des métiers – qui étaient menacés de disparaître.

L’acsr durant toutes ces années – tel Sisyphe rivé à son rocher et avec ses petits moyens – n’a cessé de déployer les initiatives, en commençant par des festivals, ensuite des rencontres et des séances d’écoutes, en équipant l’atelier et mettant à disposition du matériel de tournage et montage, en sensibilisant les diffuseurs, autant du côté des radios privées (associatives) et la radio de service public, en Belgique et à l’international. Développer également des synergies avec d’autres types d’opérateurs (festival de cinéma, centres culturels, …). Ramener les artistes du son (poètes, cinéastes, ingénieur.es du son, musicien.nes,….) vers la radio – avec notamment le projet SilenceRadio, une des premières webradios de création. Persuader les directeur.rices des hautes-écoles artistiques de ne pas lâcher les quelques cours dédiés à ce médium.

Mais aujourd’hui, ce nouvel engouement pour le sonore et le ‘podcast’ vient comme un souffle doux et réconfortant après tant d’années d’effort. C’est un momentum important tant pour les acteurs du
secteur (hautes-écoles, créateur.rices, producteur·rices, les radios et les nouvelles plateformes) et tant dans la manière de repenser notre relation au public.

Dans ce nouveau contexte plus favorable, il s’agit davantage de sortir du maquis et de reconstruire un dialogue qui a été perdu pendant de nombreuses années.

A la fois avec le politique sur les réflexions quant aux enjeux nouveaux du numérique et le rôle du pouvoir public sur le soutien à la professionnalisation, à la transmission des pratiques, à la visibilisation de nos artistes en Fédération Wallonie-Bruxelles et à une revalorisation d’un patrimoine sonore, que les jeunes générations ont d’ailleurs grand plaisir à découvrir.

A la fois avec les éditeurs de service sonore traditionnels (tant les radios locales, la RTBF et les réseaux commerciaux) et de nouveaux éditeurs qui se déploient plus ou moins aisément sur ce nouvel océan de l’édition numérique dans lequel des nouvelles synergies et une ‘chronologie des médias’ doivent se construire.

A la fois avec la presse et les magazines culture & média en Fédération Wallonie-Bruxelles, qui prennent de plus en plus conscience de ce terreau riche et singulier de la création ‘belge’. Et je vous invite à écouter d’ailleurs l’émission « Podcast + » produite par BX1, qui met en lumière ces créatrice.eurs rarement invité·es sur d’autres antennes. Egalement suivre la presse critique de Karoo, qui consacre quelques articles sur un des derniers podcasts mis en ligne. Auparavant, il fallait faire un festival de 4 jours pour espérer avoir une demi-page du côté de la presse belge….

La position défendue par l’acsr n’est pas de profiter de cette révolution numérique pour faire rupture, mais plutôt d’être à la fois moteur de transmission et de découverte, donner cet espace nécessaire pour un dialogue entre générations et trouver un nouveau vocabulaire commun, tant du côté des artisanes et artisans de la création que du côté d’un public.

Derrière les termes ‘création radiophonique’ et ‘podcast’, qui désignent finalement qu’une pratique artistique pour l’un et qu’un mode d’écoute pour l’autre – il y a surtout à redonner sens et pertinence au contenu, défendre un autre mode d’écoute sensible sans tomber dans le can-can et l’info mainstream, un rapport singulier à notre monde sans tomber forcément dans le sensationnel, une nécessité de relibérer notre imaginaire, de re-nourrir la « boîte à histoire », nos mythes et nos légendes. Ce temps est peut-être revenu de simplement parler et d’honorer chaque œuvre et chaque autrice.eur pour ce qu’iels nous apportent et nous racontent. Et sans plus être étonné.es d’avoir le son comme seul vecteur d’immersion et de narration.

De manière plus succincte, l’éclaircie s’annonce et il faut maintenant reconquérir le public qui est là et en demande.

A l’occasion de son anniversaire, l’ACSR a invité le public le 13 novembre 2021 au Recyclart, à découvrir des productions de l’atelier ainsi que propositions diverses célébrant la création sonore. La nouvelle plateforme de podcasts Radiola fut également présentée de façon inédite. Ce nouvel outil pourrait-il palier aux manques de diffuseurs en Belgique ? Pour rappel, seule l’émission « Par Ouï- dire » de la RTBF, animée par Pascale Tison, permet la découverte de fiction, documentaire et archives sonores.

Cette nouvelle plateforme Radiola n’a pas l’intention de jouer sur l’exclusivité, mais au contraire soutenir et développer encore plus les synergies avec nos partenaires traditionnels (les radios associatives, les producteur.rices opérant sur les radios de services publics, comme ‘Par Ouï-dire’). Ensuite les mises en ligne (podcast) sur des plateformes partenaires (le grain des choses, Tenk, arteradio, …) – qui peuvent demander l’exclusivité à condition d’une contrepartie financière pour les autrices et auteurs.

Et ensuite, en dernière ligne, Radiola.be est la plateforme qui assure pour toutes les productions accompagnées par l’acsr – une seconde phase de diffusion, sachant que beaucoup d’artistes ont leur propre page autoéditée sur des plateformes de partage.

Donc avec cette nouvelle plateforme Radiola, le désir est plutôt de séduire de nouveaux diffuseurs à se plonger dans cette offre programmatique et palier à une « troisième ligne » manquante : la valorisation de ce patrimoine vivant qui ne vieillit pas.

Il n’y a pas que l’émission « Par Ouï-dire » qui fait la part belle aux documentaires, fictions et autres créations sonores. En Belgique francophone, il y a une dizaine de radios associatives qui diffusent également de la création radio, de la fiction, du documentaire, et des formes plus sonores. Et en France, nous avons une vingtaine de radios partenaires.

Mais ‘Par ouï-dire’ est indispensable ! Et Pascale Tison et sa petite équipe qui l’entoure mènent un travail remarquable de production et de diffusion. Derrière cette case, il y a un travail d’accompagnement et un bel exemple de synergie avec d’autres producteur·rices de la francophonie (l’émission Labo et le nouveau pôle Podcast de la Radio Suisse Romande) et le Fonds Gulliver soutenu par le Service pour la promotion des Lettres, la Scam, la SACD et les sociétés d’auteur suisse. Il faudrait dans l’idéal que France Culture et Radio Canada y adhérent également. Les auteur.rices sont fort demandeur.euses d’une ouverture à la production indépendante et d’une plus grande synergie de la part des grands médias francophones, et plus encore, internationaux. Et un désir d’avoir d’autres cases ouvertes sur les autres chaînes de la RTBF, autant pour une offre jeune public, autant pour des créations plus musicales et sonores.

Mais nous sommes encore dans le maquis de la résistance (grâce au soutien extérieur des sociétés d’auteurs et du Service de la Promotion des Lettres). Parallèlement, il existe également le pôle webcréation de la RTBF – une première initiative qui mise plus sur la « découvrabilité » - mais qui n’est pas une réelle stratégie profonde de développement en terme de soutien à la création de podcast. Une telle maison devrait normalement développer des réels espaces de création en interne sur son budget propre, et donc réengager des métiers disparus (notamment des réalisateur.rices sonores) et développer des appels à projets avec les auteurs.rices et artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Quels ont été les critères sélection des podcasts diffusés sur la plateforme Radiola ?

Carmelo : La première phase de développement de Radiola a été – et cela a été un travail énorme – de remettre en ligne toutes les créations produites et accompagnées par l’acsr depuis 1996. Egalement tout le patrimoine collecté par SilenceRadio entre 2005 et 2012, les créations produites lors des différentes éditions du festival organisé par l’acsr, les petites formes créatives sorties des stages … . Cet énorme travail d’archivages et d’encodage a été réalisé par Clémentine Delahaut, Emma Pajevic, Laure Merlo et les derniers mois, je m’y suis collé.

La sélection de cet énorme catalogue est le fruit d’un travail collectif de différents comités de lecture, de comité de programmation, curatrices et curateurs qui ont animé et induit la ligne éditoriale de l’acsr à travers ses différentes périodes.

Dans ce premier répertoire mis en ligne, il y a une grande diversité de formes et de genres : du « documentaire portrait » qui donne la parole à des personnes qu’on entend peu dans les médias et où certain.es réalisteur.rices impliquent le personnage dans une co-écriture ; des portraits croisés surprenant (entre un chasseur et un photographe, entre des nonnes et des prostituées qui habitent le même territoire), d’autres qui suivent deux années durant l’évolution d’un projet social (la création d’une école à pédagogie alternative) ou le combat d’une personne, des fictions pour certaines proches du néoréalisme italien, d’autres plus dystopiques à la mise en onde plus ‘lynchienne’, des courtes phonographies ou cartes postales sonores qui nous immergent – un court instant - ailleurs sur un moment de coucher de soleil, sur un moment d’archives de notre histoire, … En bref, une pléthore de découvertes et de suggestions pour s’évader. Et je t’avoue que je manque moi-même de recul et donc je suis très à l’écoute des retours des auditrices et auditeurs et de nos partenaires à l’étranger. Il paraît qu’il y a une spécificité de la création sonore belge, que j’ai du mal à la définir par manque de recul. Carola Haupt et Ilaria Gadenz (Radio papesse, Lucia Festival), qui nous contactent pour l’organisation d’une masterclass, parlent de « ce talent à utiliser le sonore comme un réel élément participant à l’écriture ». Il y a petit sms de Silvain Gire (arteradio) : « Foutus belges, et leur génie de la poésie crue. ». Oui, effectivement, cela résonne de justesse quand on remarque cette liberté dans beaucoup de créations qui mélangent les styles, les tons, les genres sans scrupules. Des trames d’écriture qui se superposent tout en gardant une cohérence unitaire.

A peine cette mise en ligne lancée, nous avons été sollicités pour envisager des perspectives d’ouverture éditoriale – afin de faire redécouvrir des autres productions qui ont été soutenues par la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais également des créations hors-cases autoproduites (en « podcast natif »). Mais l’équipe abat déjà un travail énorme – et un tel développement d’activité nécessite la présence d’une nouvelle recrue dans l’équipe.

Pour guider cette ouverture éditoriale, nous continuerons à travailler de la même manière, la mise en place d’un comité éditorial et des synergies avec des partenaires – tout en veillant à préserver et à soutenir l’écosystème de la diffusion en Fédération Wallonie-Bruxelles et sur la Francophonie.

Quelques lignes directrices ont prédéfini le cadre éditorial et tiennent à soutenir une démarche qui s’inscrit plus dans le slow media: Le son et le silence comme vecteurs d’émotion et comme éléments qui participent à la narration ; la nécessité d’un point de vue original, d’un discours qui explicite par souci de porter une parole nécessaire ; et implicite quand on pense que l’auditeur.rice est capable d’amener sa propre lecture ; en évitant le systématisme formel d’une instance médiatrice (une voix omniprésente et non impliquée) qui maîtrise la temporalité et domine le centre d’attention de l’auditeur.rice, et qui empêche finalement la rencontre avec le sujet et le processus d’immersion.

Qu’espères-tu pour ces prochaines années ? Comment imagines-tu les 50 ans de l’ACSR ?

Je réponds seul à cet entretien, mais je tiens à préciser que l’atelier de création sonore radiophonique a été et sera toujours – j’espère - une association d’autrices.eurs, d’artisan.es de la création radio, qui avancent pas à pas et prennent les décisions d’avenir. En ce début d’année, le Conseil d’administration et l’équipe feront justement une courte mise au vert – pour définir les désirs et les enjeux auxquels l’acsr désire répondre pour les prochaines années. Et pour les 50 ans de l’acsr, je ne serai plus là ! oufti !

Plus il y a d’auteur.rices et d’artistes qui viennent en résidence dans un espace de création, plus cet espace miroite les reflets de notre monde. Un espace de création est un laboratoire ouvert qui se nourrit du réel et renvoie un, deux, … mille et une notes, mille et une lectures, mille et une interprétations. Donc la première question est finalement que sera notre monde dans 25 ans. Aurons-nous réellement avancé sur les enjeux, les combats, les crises qui nous préoccupent aujourd’hui ? Quel.les sons et sonorités auront disparu et quelle sera notre nouvel environnement sonore ? Avec quelle prosodie et de quelle manière nous nous exprimerons ? Avec quels mots et quel vocabulaire nous dialoguerons les uns et les autres ? Quelles nouvelles expressions ? Quelles respirations ? Quelles intonations ?

Avons-nous conscience de l’effet et de l’impact du ‘tout numérique’ sur nos attitudes, nos manières de penser, notre manière d’écouter, notre manière de communiquer ?

Un combat que je défends déjà aujourd’hui et une de mes plus grandes joies à l’acsr est d’observer le travail collaboratif au sein des équipes de réalisation. Particulièrement dans le secteur des médias, les outils numériques – devenus tous accessibles sur une seule machine - nous poussent chacun et chacune inconsciemment dans l’isolement, dans l’autonomie et dans le cumul de tous les rôles (à la fois être un.e auteur.rice, preneur.se de son, monteur.se, mixeur.se, bruiteur.se, … producteur·rice, éditeur·rice, diffuseur·seuse). Ces outils, devenus plus accessibles, ne devraient pas effacer les partenaires éventuel.les sur un projet que l’on porte, mais plutôt redonner du temps à la collaboration, à la complémentarité des talents et à la transmission des savoirs. Ceci est déjà un espoir que je place au présent.

Aujourd’hui, les citoyens et les artistes sont de plus en plus mobiles – et dans le même temps, le discours du politique et les institutions culturelles sont de plus en plus rivées aux enjeux du local et de leur territoire. C’est un autre espoir pour ces prochaines années – une nécessité de « passer les murs », de repenser la ‘proximité’ d’une manière différente et arriver à déployer plus de collaborations internationales entre artistes de différents pays dans le processus de création et de réalisation.


RADIOLA.BE (sortie officielle grand public, le 24 janvier 2021)
Et le nouveau site ACSR.BE, pour les créatrices et créateurs radio/podcast Entretien réalisé par Caroline Henriet

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