Anne Sarah Le Meur, Outre-Ronde
Installation cylindrique interactive, 3D temps réel, capteur de mouvement, silence. 2012
Plateau du théâtre
Accès par la Galerie au 127-129 rue Saint Martin 75004, Paris
Vernissage 23 février
Ouverture du lundi au vendredi 14h - 18h
Nocturne le vendredi 4 mars, 14h - 21h30.
Et sur rendez-vous, avec l’artiste, le matin en semaine (10h-14h)
Depuis 1990, Anne Sarah Le Meur, issue de la seconde vague d’artistes numériques français, manifeste dans ses diverses réalisations son goût pour une image de synthèse 3D singulière, non conforme, irrévérencieuse. Parce qu’elles adoptent les jeux de plan et de matière de la peinture abstraite (Pollock, Rothko) et du cinéma expérimental (Brakhage), ses œuvres ouvrent une voie inédite : une 3D abstraite « plate », une 3D presque sans volume où les jeux de matière, de lumière et les sensations tactiles prédominent : une 3D plasticienne !
Dans le même temps, l’artiste choisit de programmer ses images. Elle a l’intuition que cette nouveauté radicale – la programmation informatique –, terrible contrainte pour l’artiste sans formation informatique, peut initier une nouvelle esthétique, voire une autre pensée sur ce qu’est la création artistique. Elle explore ce langage, ses limites potentielles, l’utilise à rebours, pour trouver ce qu’il recèle de surprise et d’inconnu. Elle focalise notamment sur ses fonctions élémentaires, afin de les comprendre, et parce que, pour elle, la poésie ne réside pas dans des mathématiques complexes, mais dans la puissance du petit nombre.
Aspirant à une expression sensible, quasi sensuelle, ses recherches de matières et de mouvements traversent nombres, boucles de variation, combinatoires, sinusoïdes… Ses tests méticuleux sur les fonctions, laissant peu de place au hasard, lui permettent de découvrir des phénomènes étranges, subtils, mystérieux : par exemple, inversant un paramètre, elle obtient une lumière noire, négative. Ainsi, plutôt que de valoriser un savoir-faire technologique, les œuvres d’Anne Sarah Le Meur offrent une rêverie, une poésie numérique, hybride de nombres, de corps, et d’amour de l’art.
Représentée dès 2012 par la galerie Charlot, elle montre son travail en galeries, centres d’art et en festivals. Parallèlement, Anne-Sarah Le Meur enseigne, depuis l’an 2000, les pratiques de l’image en mouvement à l’École des Arts de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Soutiens techniques : Francis Bras, Didier Bouchon. Interface-Z / Le Cube / ZKM_Karlsruhe
Remerciements : Peter Weibel.
Fascinée par les œuvres lumineuses de J. Turrell et les films peints de S. Brakhage, stimulée par les fictions situées dans l’obscurité et décuplant les sensations (S. Beckett, Compagnie, E. A. Poe, Le puits et le pendule), Anne Sarah Le Meur réfléchit sur l’interactivité tout en terminant sa thèse. Le choc esthétique devant Film, de Beckett, où Buster Keaton, alors âgé, y esquive le regard caméra (d’une caméra qui pourtant le traque), lui montre comment procéder : l’esquive sera la règle de comportement de l’image interactive. Parce que l’image esquive, elle n’est plus assujettie au geste du spectateur, et devient souveraine. Son intérêt pour la lumière, la perception, la lenteur et la désobéissance vont pouvoir converger.
Anne Sarah Le Meur élabore alors une œuvre interactive provocante : Outre-Ronde vise à la « non action » (influence du Livre du Tao, de Lao Tseu) et à la contemplation. Lenteur et immobilité y deviennent puissances de relation avec l’image : regardée trop vite, celle-ci disparaît, car sensible et quasi timide ; regardée lentement, elle reste sur place, se rapproche et se colore. L’écran cylindrique enveloppant le spectateur situé en son centre, l’image y circule. Jouant avec le champ visuel périphérique du participant, elle lui en donne conscience. Plusieurs phases d’interaction existent, de complexité variable. Le programme y comptabilise les essais du spectateur, et induit les réactions de l’image. Dans la phase finale, l’image, « apprivoisée » par le regard, répond par micro mouvements et variations colorées. Outre-Ronde fonctionne alors comme un laboratoire de perception où l’on explore graduellement son propre comportement, où l’on apprend à voir, à résister à son désir – qui sinon détruit l’image –, à (se) donner du temps, pour entrer dans une relation intime, non verbale, quasi chorégraphique, avec l’image.
Mais, comme devant toute œuvre d’art complexe, personne n’expérimente ni ne perçoit la même œuvre : il est précieux d’interagir plusieurs fois, et d’observer les autres interagir. Telle une œuvre de Borgès, la totalité d’Outre-Ronde échappe à la perception.