Radicale 1924 à Saint-Cirq-Lapopie : Résidence de Nicolas Bourthoumieux
Saint-Cirq-Lapopie
En 2021, dans le cadre d’une alliance renouvelée depuis 2020 avec Moly-Sabata, le Centre a soutenu la résidence de Nicolas Bourthoumieux à Moly-Sabata en 2021 du 11 janvier au 12 février.
Une sélection des réalisations produites lors de ce séjour a été mise en lumière au Centre, du 8 au 31 octobre 2021, dans le cadre du dispositif de galerie d’essai, qui a permis également la mise en place d’expérimentations in situ autour de notions liées au temps, à l’absence, la disparition et la transformation.
Nicolas Bourthoumieux fut l’un des artistes exposé.es dans le cadre de l’exposition collective Des choses vraies qui font semblant d’être des faux-semblants (commissariat : Michel François), dans sa version Hors-Les-Murs Satellite en 2021-2022, à la Friche la Belle de Mai à Marseille.
Nicolas Bourthoumieux est né à Toulouse en 1985. Il a étudié à l’université de Toulouse le Mirail ainsi qu’à l’ENSAV La Cambre l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles.
Il travaille aujourd’hui entre Bruxelles et Bagnères de Luchon (Pyrénées).
Depuis sa première exposition personnelle (Shit Luck, Abilene, Bruxelles) en 2012, il conçoit sculptures, installations, vidéos et photographies où transparaissent des méditations métaphysiques dans des objets et situations du quotidien le plus banal.
Le travail sculptural de Nicolas Bourthoumieux joue avec les indices visuels associés à la validité scientifique des lois fondamentales de la physique tout en les questionnant. À travers des associations simples et frappantes de formes, de volumes et de textures, l’artiste semble offrir une alternative poétique à ces lois en rédigeant sa propre métaphysique. Ses sculptures occupent et divisent l’espace, refusant toute négociation avec l’architecture environnante. Pourtant, lorsque l’on s’approche, les qualités monumentales et abstraites des formes extérieures cèdent la place aux qualités tangibles et délicates des gestes apparents de la main. Ici, le systématique, le symétrique et le mathématique se heurtent aux limites sensibles de l’artisanat.
Bien que Bourthoumieux travaille avec des matériaux trouvés et réutilisés, sa relation avec la nature repose avant tout sur une appréciation des lois de la physique telles que l’interaction des forces, le passage du temps et la présence spatiale d’un objet. L’artiste extrait ces phénomènes observés de la nature, les met en évidence et les explore à travers l’abstraction et des relations dichotomiques. Ses interventions sont minimales, reposant sur des processus simples d’extraction, d’ajout, de soudure ou de superposition, ce qui permet aux matériaux de s’exprimer par eux-mêmes.
La photographie et la vidéo viennent étayer ce travail du volume en touches discrètes. Elles condensent dans des images brutes ses recherches, s’y comportant tout à la fois comme l’origine, le catalyseur et leur résidu.
Son travail fut exposé en Belgique et à l’international, notamment à la galerie 10N Menorca (Espagne) en 2023, au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris en 2021, à l’Ateliê Fidalga Sao Paulo (Brésil) en 2018, au 62e salon de Montrouge en 2017, à la galerie Catherine Bastide de Bruxelles en 2015, ainsi que dans de nombreuses expositions collectives.
En collaboration avec :
La Maison André Breton - Saint-Cirq-Lapopie, Les Maisons Daura/Maison des arts Georges et Claude Pompidou-Cajarc, Musée Henri Martin-Cahors, Musée René Magritte -Jette, Departement of Visual Arts and Unesco Chairholder on Images of the future/ Erasmus Hogeschool -Bruxelles, Université de Californie - Département des Arts Visuel -San Diego
Avec le soutien de :
La Municipalité de Saint-Cirq-Lapopie, Centre Wallonie-Bruxelles/Paris
Situé dans la vallée du Lot, à Saint-Cirq-Lapopie, témoin unique du patrimoine médiéval français, devenu dès les années 1950, une destination prisée des créateur.ices et des collectionneur·euses notamment d’André Breton et d’artistes surréalistes, Radicale 1924 est un projet novateur de résidence artistique et d’exposition, fondé en 2020 par Chantal Yzermans, chorégraphe belge et sa compagne, Sylvia Zade Routier. Celles-ci résident à Saint-Cirq, dans la Maison Routier, devenue l’épicentre du projet de résidence, qui accueille, de septembre 2021 à septembre 2024, des artistes et des chercheur·es, les invitant à travailler pendant une période allant d’une semaine à un mois.
Cette résidence de quatre ans conduira à une célébration du Premier Manifeste surréaliste d’André Breton entre la mi-septembre et la mi-octobre 2024 via un programme spécial d’événements et d’interventions en direct, par de nombreux artistes invité·es qui feront de Saint-Cirq-Lapopie un centre pour la créativité et l’imagination publique.
Nicolas Bourthoumieux a été invité dans ce cadre à réaliser deux séjours de quinze jours pour lesquels il travaillera à la mise en œuvre de son nouveau projet intitulé Ellipse.
Ellipse, projet de résidence de Nicolas Bourthoumieux - Nouvelle Création :
Dans un chapitre intitulé Considérations désobligeantes du recueil de texte d’Œuvres pré-posthumes, Robert Musil remarque :
« Entre autres particularités dont peuvent se targuer les monuments, la plus frappante est, paradoxalement, qu’on ne les remarque pas. Rien au monde de plus invisible. »
Puis à l’auteur de développer que le rôle perverti des monuments, dans un grand retournement hypocrite, est de nous permettre d’oublier ceux que l’on nomme les grands hommes ; de pouvoir enfin les plonger « une pierre commémorative au cou, au fond de l’océan de l’oubli ».
Ce texte m’intrigue. J’y reviens régulièrement, cherchant à me souvenir j’oublie. La solitude accompagne l’amnésie. La marque serait comme la trace d’une absence monumentale. Et cette question : que reste-t-il ?
Il y avait au mur de mon atelier le portrait d’un homme qui n’avait jamais eu de monument à son nom. Connu comme ‘le troisième’ de la mission Apollo XI, Michael Collins est celui qui n’a pas marché sur la Lune, attendant à bord de Columbia le retour de Armstrong et Aldrin partis pour la première randonnée extraterrestre. Il fut à l’époque qualifié du très romantique titre d’homme le plus seul de l’univers. Ce qui, techniquement, était vrai.
J’imaginais un projet :
Afin de retourner le constat de Musil, je souhaitais réaliser un monument destiné à l’oubli autant qu’à l’abnégation et à la solitude, pour ceux qui ‘y étaient presque’. Allégorie des anonymes et des oubliés, Collins plus que tout le monde était le premier homme à ne pas avoir marché sur la Lune.
Je cherchais à le contacter, en envoyant des lettres à la NASA ainsi qu’à l’éditeur de son autobiographie. L’idée était de réaliser le moulage de son pied (probablement le gauche), d’en faire un tirage en bronze ou aluminium puis de l’enfouir quelque part en secret.
Il y a dans la grotte du Pech-Merle, à quelques kilomètres de Saint-Cirq-Lapopie, une empreinte de pas d’enfant fossilisée. Un pied gauche. L’enfant a glissé dans la boue et personne n’est repassée par là et le temps transforma la boue en pierre. Il est possible de visiter la grotte, ce que je fis pour la première fois quand j’avais cinq ou six ans.
Le guide m’avait interpelé : « tu vois : cet enfant avait ton âge il y a 25000 ans ».
C’est le seul souvenir que je conserve de la visite. Rien des chevaux, bisons, mammouths et mains négatives peints sur les parois.
Dans la lettre adressée à Michael Collins pour lui soumettre ma demande de moulage, j’avais glissé deux cartes postales : La chute d’Icare de Bruegel et une empreinte de main négative sur une paroi de la grotte de Gargas (dans les Pyrénées), ce qui me semblait éloquent compte tenu du projet.
Il n’a jamais reçu cette lettre, il meurt le 28 avril 2021.
Un an plus tard :
Je suis invité à penser un projet pour la résidence et les évènements de Radicales 1924.
Saint-Cirq-Lapopie, lieu de la résidence, est un village mort à force d’être conservé, c’est l’inverse d’une ruine.
Malgré la mort du principal intéressé, mon projet est relancé.
Pour la résidence Radicales 1924, j’ai tout d’abord repris mes recherches en commençant par ce qui aurait dû être la fin :
l’enterrement du moulage de pied. Pas celui de Collins mais le mien.
Un autoportrait à la chaussette trouée. Moulé en béton.
La finalité devient le germe. C’est un cycle dont le moteur est l’échec. De ce qui devait être un aboutissement découle une recherche nouvelle qui se développera lors de la résidence, sur plusieurs années, dans le futur.
Pendant le travail, la sculpture sera sous terre, bien sagement, elle attendra d’être retrouvée.
Comme un fossile d’œuf de dinosaure.
Comme à Pompéi.
Et peut-être qu’on oubliera de la déterrer.
Puis, afin de réunir Collins et l’enfant de la grotte en un même lieu, en un même temps, j’imagine un film.
Il s’agira peut-être d’une installation vidéo, sur un ou plusieurs écrans, dont le titre provisoire est Ellipse.
Des images d’archives de la NASA enregistrées lors du voyage d’Apollo XI vont côtoyer des vues du tableau de Bruegel, ainsi que des paysages désertiques comme au premier jour, des intérieurs de cavernes et des vues de poussières cosmiques.
Cher Monsieur Collins, qu’avez-vous vu dans la caverne ?
« just did my job ».
Ce que ne dit pas Collins, d’autres l’on écrit sans avoir à partir si loin, Fernando Pessoa par exemple. (Cf : Le bureau de Tabac).
C’est alors au philosophe et critique d’art belge, Hans Theys, que j’ai posé cette même question. Après avoir obtenu de la DRAC Occitanie, de la commune de Cabrerets et de Monsieur Bertrand Defois, conservateur, l’autorisation de filmer dans la grotte ornée du Pech-Merle, nous nous y sommes retrouvés, Hans, Oona - sa fille âgée de 9 ans -, et moi-même.
Oona erre dans la grotte, seule, elle passe devant les peintures sans y prêter trop d’attention. S’arrête un instant sur l’empreinte de pas de l’enfant de 25000 ans.
Elle ne veut pas crier.
Voilà où nous en sommes.
Bruxelles, le 19 novembre 2023
Nicolas Bourthoumieux