01.08.22

Entretien avec Jacques Lemaire

Jacques Lemaire est l’auteur de la création radiophonique “La terre est plate” et le premier lauréat de l’appel à projets « fiction sonore » du Centre Wallonie-Bruxelles/Paris_Festival Inter-férence_s, en partenariat avec l’acsr (Atelier de création sonore radiophonique).

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29.03.22 — 02.04.22
Festival (((Interférence_s)))

Après un Master en réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion, obtenu avec distinction, JACQUES LEMAIRE accumule différentes expériences de création. De la production à la mise en scène, en passant par l’orchestration d’ateliers de jeu face caméra, Jacques Lemaire n’a de cesse de parcou-rir les champs du son et de l’image dans ses pro-jets radiophoniques ou cinématographiques. Jacques Lemaire fait partie de plusieurs collectifs à l’origine d’œuvres singulières comme Captagone, un collectif d’un autre genre qui tente de fiction-naliser les captations multicaméras. Ravenala, du nom d’une performance transdisciplinaire sur les images super 8 de son grand père orpailleur. Ou encore le trio Iceberg à l’origine de Zone 58, une création radiophonique sur le centre de Bruxelles et son légendaire parking 58 qui a remporté le prix du jury au Brussel Podcast Festival.

Jacques, tu es réalisateur cinéma formé à l’IAD. Comment s’est opéré ce virage vers le podcast comme médium de création ?

Faire de la radio ou du cinéma, je crois que le geste est le même : chercher. C’est sûr que le cinéma prend en compte plus de dimensions, mais je ne distingue pas tellement les deux. Je reste surtout at-taché aux histoires qui sont racontées, et comment le médium choisi résonne avec elles. Par ailleurs je suis auditeur de radio depuis assez longtemps, et j’ai toujours vu le son comme un potentiel d’explo-ration de la narration. Moins on a d’outils, mieux on s’en sert. Avec le podcast, on peut aller plus loin qu’avec le cinéma, car on a moins de dimension à prendre en compte.

Quelle est l’origine de cet intérêt pour les platistes ? Peux-tu nous en dire davantage sur ce qui semble véritablement constituer une communauté ?

Le plastisme fait partie d’un phénomène qui m’intéresse depuis longtemps : le complotisme. Je crois que c’est un fait de société qui permet de mieux comprendre la manière dont l’information circule est à quel point elle est un pouvoir. Avec les réseaux sociaux et les téléphones, la création de l’information est aujourd’hui beaucoup plus démocratisée qu’avant. Deux livres m’ont été d’une aide salutaire : Les théo-ries du complot de Pierre André Taguieff, et Manifeste du conspirationnisme d’un auteur anonyme.
Les platistes remettent en question une vérité établie depuis très longtemps. C’est justement la source du succès des idées platistes, car elles bouleversent la perception du monde. L’affirmation : « La terre est plate ! » résonne comme une aberration à tel point qu’elle est devenue une « punchline » des ré-seaux et des partisans. Le platisme, à l’instar des réseaux sociaux, fonctionne avec des influenceurs comme Mike Hughes, Patricia Steere, ou encore Mark Sargent. Des figures emblématiques du mouve-ment qui ont des milliers de followers. C’est comme cela que j’ai découvert le platisme, dans une vidéo YouTube de MadMike qui se crashe dans le désert californien. Icare, Jules Verne, Mike Horn, de nom-breuses inspirations se sont engouffrés dans la brèche que Mike Hughes avait ouverte en moi.
Les idées platistes ont trouvé un essor dans les réseaux sociaux, et notamment grâce à YouTube. L’al-gorithme de la plateforme est programmé pour relayer les vidéos qui suscitent un aspect sensation-nel fort. YouTube a relayé des vidéos platistes par nécessité d’audimat. Et petit à petit, les gens y ont cru. Aux États-Unis c’est 12 millions de personnes, en France c’est 9% selon un sondage IFOP. C’est une belle ironie qu’un robot (algorithme) participe à la diffusion d’idées régressives…. C’est déjà de la science-fiction. Cela nous apprend beaucoup sur la transmission du savoir et la manière dont on peut s’attendre à ce que les réseaux jouent un rôle important dans le futur.

Quel est ton processus d’écriture ? Comment est né le scénario de cette fiction ?

Écrire pour le son, c’est se laisser aller vers l’impossible, l’incommensurable, l’invisible… Je voulais faire un récit d’aventures. Un personnage hors du commun, un décor lointain et mystérieux, une quête impos-sible. Partir en Antarctique et au-delà avec le son est une dimension importante de mon écriture. Mes recherches m’ont donné de plus en plus de fascination pour l’Antarctique : une terre presque entière-ment recouverte de glace, qui nous apprend autant sur le passé avec les carottes glacières, que sur le futur avec un ciel clair sans pollution lumineuse. Une terre réservée aux scientifiques et aux manchots, en tout cas pour le moment. The Thing de John Carpenter m’a aidé à plonger dans l’atmosphère déso-lée de l’Antarctique.
Ensuite, il s’agissait d’aborder le platisme avec une certaine poésie. Mettre en avant le goût de l’aven-ture, la crise existentielle, la folie douce. C’est dans ce but que j’ai écrit uniquement avec des enregistre-ments de messages vocaux ou vidéos laissés par Léon à sa fille. Par ce biais on accède à son aspect paternel, et affectueux, avant de juger ses convictions farfelues. Tout au long de son expédition, Léon est bousculé entre sa quête périlleuse, et l’amour qu’il porte à sa fille.
Je remercie Jérémie Brugidou entre autres, avec qui j’ai pu ouvrir quelques nouvelles pistes de réflexion scénaristique et découvrir d’autres références éclairantes.

Comment se sont déroulés les enregistrements ? Comment as-tu reproduit les sons de l’antarctique ?

Concernant les influences sonores, j’ai échangé avec Cheryl Leonard, une artiste sonore américaine qui m’a transmis ses land recording très inspirant. La création sonore autour de l’Antarctique s’est ma-joritairement faite à partir de nappe retravaillée en Sound Design. L’imaginaire collectif de l’Antarctique est assez basique, peu de gens ont entendu de leurs oreilles les ambiances de la terre australe, ce qui permet beaucoup de liberté créatrice.
Pendant l’écriture, WhiteWanderer Riverside du duo d’artiste Earther a été ma ritournelle. C’est une création sonore à partir d’un enregistrement fait par des scientifiques de la « naissance d’un iceberg ». J’ai découvert qu’on appelait cela un vêlage en glaciologie, incroyable ! Leur création est hypnotisant, des craquements viennent ponctuer des chants de basses continues…
Pour le tournage, nous avons fait plusieurs sessions dans les Fagnes, un parc naturel non loin de la fron-tière allemande. Il nous suffisait de la neige, du froid et de l’isolement pour nous mettre dans la peau des explorateurs de l’antarctique. Nous sommes restés plusieurs heures dans la nuit noire à chercher, à ten-ter de trouver l’Antarctique et le bord du monde. J’aime beaucoup travailler dans des situations proches du documentaire. Tout mon travail avec les acteurs consiste à les mettre dans une bulle de sécurité et d’expression, afin de laisser les paroles et les sentiments venir. Je me souviendrai toujours de ces nuits dans la forêt noire, avec Michel qui craint les loups
(rire).

Dès le départ, tu as souhaité travailler avec Michel Schillaci, comédien qui interprète le personnage principal. Pour quelles raisons ce choix s’est-il imposé ?

Michel est un ami. On s’est rencontré pour mon film de fin d’études à l’IAD, il y a 4 ans. Depuis, on ne s’est jamais trop éloigné l’un de l’autre. Je crois qu’on a encore des choses à se dire et à faire ensemble. J’ai écrit ce projet en pensant à lui, et ce n’est pas la première fois qu’il est au bout de mon stylo. Je sais que nous pouvons avoir une grande complicité dans le jeu et les dialogues, et il me fait rire énormément. Je savais qu’il serait capable de trouver la beauté dans ce personnage. Teresa est interprétée par Char-lotte, sa fille. On pouvait donc convoquer leur relation à la vie pour qu’elle nourrisse la fiction.

Y aura-t-il une suite à « La Terre est plate » ? Pourrais-tu nous en dire plus sur tes projets à venir ?

Le projet « La terre est plate » nous a permis d’apprendre énormément sur Léon, et sur les platistes. Nous sommes donc en développement d’un faux documentaire cinéma qui s’inspire de ce projet. Et pour la radio, j’aimerais faire un 50 minutes d’enquête sur le complotisme, et potentiellement une série fiction basée sur la vie de Léon. En tout cas, ce projet nous a donné à penser, et on a envie de prolon-ger l’aventure.

Jacques Lemaire & Michel Schillaci en tournage dans les Fagnes pour La terre est plate

Jacques Lemaire & Michel Schillaci en tournage dans les Fagnes pour La terre est plate

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