Évènements liés

AS : La prise en considération de l’environnement, du contexte, de l’architecture est essentielle dans votre démarche. Pourriez-vous nous évoquer quelques exemples récents de vos interventions In situ ?


DJ : Prendre en considération, l’environnement, l’architecture est une étape impérative avant toutes propositions artistiques, nous pourrions effectuer un parallélisme avec l’importance du support, que ce soit en dessin, en peinture ou tous autres médiums. La cafétéria des bureaux Uhoda est un exemple où la fonction de l’espace est essentielle. Dans le cas présent, il est primordial que le personnel qui s’y rendra pour déjeuner soit entouré d’une couleur chaude (jaune d’or) plutôt qu’une teinte foncée qui produira le contraire des effets escomptés. Psychologiquement, l’impact de la couleur sur nos esprits influencera le bien-être au travail.


AS : Comment abordez-vous l’espace urbain ? Quelle relation à la ville entretenez-vous ?


DJ : Tout d’abord, je suis un citadin qui adore la ville et qui a toujours vécu en ville. La cité est le lieu où toutes les énergies transitent. Nous sommes sollicité.es de toutes parts à tous moments de la journée, que ce soit à travers la publicité, les annonces, les événements, les sons, les lumières, les paramètres se multiplient et il est difficile de retenir l’attention des passant.es. Néanmoins, une intervention artistique se situe dans le temps, dans une période de l’année, dans un contexte particulier, voire dans un quartier de la ville. Toutes ces données doivent être comptabilisées pour réaliser le projet.

Le plus important est de prendre la situation à contre-pied, exemple : je suis intervenu dans la gare centrale à Bruxelles. Le titre de l’œuvre était Miss Your Train, It’s a Holiday et l’installation consistait à créer une piste de danse avec un juke-box Wurlitzer de 2 x 200 watts, avec un choix de 100 CD et des spots de différentes couleurs, reliés au rythme des chansons du juke-box. Cela provoquait un court interlude, dans la routine quotidienne des voyageurs, par le biais d’une piste de danse de 5 mètres de diamètre. Une sélection de musique de danse et un distributeur de boissons étaient mis à la disposition du passant, du navetteur, telle une réminiscence d’un tube de l’été.


AS : Le rapport à la couleur et au texte se retrouve de manière récurrente dans votre travail. Comment explorez-vous ces deux constantes et qu’est-ce qu’elles vous permettent d’exprimer ?


DJ : La couleur est essentielle dans la vie et elle doit nous accompagner dans toutes les circonstances. Personnellement, je ne pourrais pas vivre sans couleur (prisme de la lumière). Je l’ai adaptée dans toutes les interventions, installations, tableaux, caissons lumineux… Par exemple, j’ai réalisé plusieurs salles d’attente dans différents hôpitaux, et l’impact psychologique rien qu’au niveau des patient.es est capital. La couleur qui à l’origine intervient a priori en harmonie revendique subrepticement son autonomie et introduit des glissements de sens sur base de ses nuances et de sa matérialité.

La pratique subtile qui donne sens aux couleurs en valeur ajoutée à celle de l’esthétique. Je ne l’applique pas seulement à la couleur ; elle sera le fondement d’une partie essentielle de ma démarche. Dans chaque réalisation, toute composante est à considérer à plusieurs niveaux de lecture dans une interdépendance de toutes les forces en présence. L’impact de chaque participation chromatique est à évaluer par rapport aux divers plans d’approche de l’œuvre afin que celle-ci livre toute sa complexité, aucune couleur n’étant « l’innocence de l’art ». Si tout projet commence par une histoire mes expositions, installations se construisent sur un mode dialogique au sein d’une narration ouverte. Dans chaque intervention, la couleur et l’image ne sont pas illustrées par le mot, le texte mais viennent, plutôt comme un nouvel élément à l’œuvre, donner un niveau supplémentaire de lecture. Dans chaque contexte voire situation d’intervention, j’affectionne de poser des questions de manière directe ou indirecte sur le sujet qui me préoccupe pour la réalisation de l’œuvre.


AS : Quel projet spécifique allez-vous développer sur les vitrines du Centre, à partir des paradigmes de notre Saison 2024 Xenos & Incommensurables ?


DJ : Le titre de la saison 2024 « Xenos & Incommensurables  » m’a immédiatement parlé, c’est un titre totalement ouvert qui permet des perspectives à l’infini et au-delà ! En 2015, j’abordais un angle de cette thématique avec mon installation « Foreign ». Partant du titre de l’exposition collective à Prague « Chimera » (commissaire : Anne-Françoise Lesuisse), l’étrange et l’étranger étaient mêlés dans une proposition de montagne telle une métaphore des difficultés qui nous entourent. Le deuxième versant étant le concept actuel de nombre rationnel.

La commensurabilité est un terme mathématique essentiellement employé en histoire des mathématiques. A contrario, l’incommensurable est une étendue d’une grandeur telle qu’on ne peut l’évaluer. Dans ce sens, incommensurable est synonyme de l’immense et a remplacé immesurable ou non mesurable. Tous les jours, la recherche avance et nous savons pertinemment que l’usage des énergies fossiles est responsable des changements climatiques mais nous nous heurtons à des mystères et à de nombreuses inconnues, ce qui nous place dans la situation de tous les possibles réels et virtuels. L’eau est un élément essentiel à toutes formes de vie sur la terre, son importance est capitale et plus encore en ce début de 21e siècle, vu la situation écologique de survie des espèces sur notre planète mobilisant différentes formes de résiliences. L’état du monde inquiète lorsque le système capitaliste ou l’injonction au bonheur contraignent, lorsque seule la fiction devient la meilleure voie pour se construire un autre monde en respectant la terre mère. Nous payons ce manque de respect et de vigilance, on pourrait même dire que la terre nous envoie régulièrement des signes ou, comme disent les Indiens Hopis, nous montre un état d’existence exigeant un autre mode de vie : « Si l’on extrait des choses précieuses de la terre, on invite le désastre. »

L’image de l’eau est la base de ce projet et ses images seront imprimées et placées dans différentes situations telles des métaphores de nos environnements actuels. Trois situations bien distinctes seront mises en scène dans cette ambiance aquatique, sans oublier le titre générique « Xenos & Incommensurables » qui est un élément décisif pour la lecture de la proposition artistique. Dans le cas présent, mon travail ou l’intervention artistique in situ se fera exclusivement sur les vitrines du Centre avec par endroits des jeux intérieur – extérieur. Toutes ces questions, soulevées par mon intervention, nous accompagnent au quotidien et les ignorer serait une erreur pour notre survie.

Cette installation porte le titre : Turbulent Waters Deux ouvrages sur mon travail artistique ont été publiés aux éditions « La Lettre volée » : la première monographie From-Beyond (2014) explore la relation entre les trois éléments essentiels de mon travail que sont la couleur, le mot et le contexte.

La deuxième Forever Today (2019) étudie les intégrations pérennes réalisées en Belgique, ainsi que le rapport à la peinture et à l’image. Ces deux livres approfondissent toutes les facettes de mon œuvre.


Podcast suivant:
00:00