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Votre travail puise notamment ses sources dans un matériel autobiographique et amène à une rréflexion critique sur les phénomènes de violence collective. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Je crois que l’art est une question d’émotion et de transmission d’un état d’esprit. La quête de sentiments authentiques m’a ramené vers mes propres expériences de la violence de masse, des dynamiques de groupe et de la délinquance juvénile. Ces aspects autobiographiques me permettent de plonger dans mes propres émotions et de traiter ces histoires de manière plus précise. Mon travail laisse une grande part à la critique de la vacuité de la violence collective ; il y a une fascination pour les émotions que la violence provoque et pourtant, une fois la violence passée, vous ne ressentez plus rien. Je crois que c’est cette vaine quête visant à combler un vide qui pousse beaucoup de personnes à la violence et que cela devient une addiction en soi. L’identité du groupe lui-même se créée autour de ce panel d’émotions. De cette manière, la violence est similaire à l’art - il y a une volonté d’émotion, d’intensité. Cette recherche d’intensité brute est la même dans les deux activités. Cependant, avec la violence, il n’y a pas de bonne fin possible. Elle vous consume obligatoirement.

Votre démarche procède t-elle d’une forme de « catharsis » voir d une quête de « rédemption » ?

Bien sûr. Dans la vie comme dans l’art, il y a un désir d’un dénouement heureux. Dans l’art, cela se manifeste par la recherche d’une forme parfaite, tandis que chaque biographie espère se terminer par une sorte de rédemption. C’est de là que vient la force - ce contraste entre le bien et le mal, entre une histoire corrodée et tordue et une belle production artistique. Les œuvres ont besoin de ce processus, de cette machine oppressante et violente, qui en constitue la base. D’autres artistes sont parfaitement capables de créer des œuvres basées sur la fiction mais dans mon cas, j’ai l’impression d’avoir besoin de puiser dans toutes les dimensions du pouvoir transformateur de l’art. C’est comme une sorte de libération des aspects oppressants de mon passé. Rédemption et catharsis sont des mots très poétiques, mais la réalité ne n’est pas tant que ça. Il y a beaucoup de possibilités entre ces deux notions qui peuvent conclure à un dénouement heureux. Qui plus est, chaque individu définit ces mots différemment.

Depuis quelques années, votre travail plastique cohabite avec celui de performance : comment approchez-vous la nécessité de mise en « performance », comment pensez-vous cette incarnation?

La performance est pour moi une manière de me mettre dans ma peau d’avant, en activant les moteurs de la machine, de l’adrénaline. Cette pratique complète mon travail plastique et me permet de dépeindre la réalité dans son ensemble. Certains objets ont besoin d’être activés par l’action, et cette réponse performative est initiée par l’objet. Mes performances sont très spécifiques et basées sur mes expériences passées. Elles sont pleines d’énergie négative, ce qui crée ce pouvoir transformatif. Le langage du corps me permet de puiser dans un autre état d’esprit. Cette émotion alimente le reste de mon œuvre de manière très claire. La performance et le reste de mon travail se stimulent et s’affrontent. Il y a une dualité dans leur relation.

La performance constitue-t-elle un moyen d’adresser votre travail à des audiences non dédiées ?

Je pense que c’est possible. Ma performance évoque la relation entre le corps et la violence et tout le monde a vécu l’expérience de la violence dans sa vie. L’universalité de la violence peut parler à n’importe qui.
Personne ne vit dans une bulle hermétique et nous sommes constamment confrontés à différents types de violences venant de l’extérieur. Ces éléments lient le public - pas seulement un public d’esthètes mais aussi un public plus large. Certaines personnes l’apprécieront, d’autres le rejetteront, et c’est normal. Mais en tant qu’artiste performeur, une fois que vous engagez votre corps, vous entrez déjà dans l’universalité. Il y a là un medium fondamental.

Qualifieriez-vous votre démarche de politique?

Je n’ai jamais voulu faire de la politique le moteur principal de mon travail, mais il y a des éléments qui sont inévitablement politiques. En parlant d’une certaine époque à un endroit précis, vous êtes immédiatement associé à la politique. C’est inévitable. La politique fait partie de mon histoire. Dans mon travail, il y a aussi une certaine représentation du prolétariat et de ses idées, ce qui est déjà un message politique en soi. En revanche, les messages politiques directs ne m’intéressent pas du tout ; je crois que le spectateur devrait être celui qui s’auto-analyse et qu’il ne devrait pas y avoir un message poussé par l’artiste. Les messages politiques transparents sont aussi grossiers que les régimes totalitaires.

Interview menée par Sara Anedda

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