Exposition collective BULLSHIT JOB - LABO DEMO#5
Commissariat : Manon Klein & Andy Rankin
• Vernissage Jeudi 13 novembre 2025 : 18h00 > 21h00 : activation en continu de l’installation de Manon Torné-Sistero par Ionatan Schindler & Morgane Bonis
• + performance de Kylian Zeggane & Martin Mesnier + Geneviève Mathieu & John Deneuve en Guests
Galerie
127-129 rue Saint-Martin
75004 Paris
A l’initiative de Stéphanie Pécourt, ont été développés dès 2019 les LABOS_DEMOS et ce au profit de la Littérature Hors le Livre et des Arts visuels.
Ce dispositif entend valoriser des signatures artistiques encore non identifiées et émergentes afin d’attester autant des traits de démarcations des formations associées des écoles supérieures en art, belges et françaises, que de leur intrication et ce à l’heure où les parcours artistiques s’internationalisent.
Pour le volet arts visuels, il s’incarne en une exposition collective.
Si les premières promotions de ce cycle furent déployées via des binômes, associant en 2019 et 2020 La Cambre & les Beaux-Arts de Paris, en 2021 L’erg & la Villa Arson et en 2022 LE 75 & L’Esac de Cambrai, au bénéfice de cette édition 2025, le spectre des alliances s’est élargi à une dizaine d’écoles et est orchestrée par une entité curatoriale bicéphale, composée des curateur.trices, Andy Rankin & Manon Klein, engagée à la conception de l’exposition collective.
• Online: Pour recenser les alumni des promotions 2022, 2023 et 2024, les curateur.ices ont mené une recherche systématique sur Google. Pour chaque artiste, trois requêtes successives ont été tapées : son nom seul puis son nom associé à celui de son école, et enfin son nom suivi du mot « art ». En l’absence de résultat probant, iels passaient au nom suivant. Les données issues de ces 1298 recherches ont été réunies dans un tableur mentionnant, pour chaque artiste, l’école, un site web ou un profil sur les réseaux sociaux, quelques mots-clés et des visuels de ses œuvres. Ce document a ensuite été remis au Centre Wallonie-Bruxelles pour préparer de futurs projets.
• Portfolio: Il a été lancé un appel à portfolio afin de retrouver les éventuels profils non retrouvés via la recherche en ligne
• Visite: Les curateur.ices se sont déplacé·es dans 8 des 10 écoles d’art partenaires pour rencontrer les étudiant·es en dernière année de chaque cursus. Ces entretiens, de 20 minutes et réalisés sur la base du volontariat, ont permis d’échanger autour des recherches en cours, tous.tes n’ayant pas nécessairement de portfolio à ce stade.
• Quelques chiffres :
-1298 profils recherchés
-179 entretiens en visio de 45 minutes
-8 écoles visitées pour rencontrer les promotions 2025
-139 rencontres de 20 minutes dans les écoles
-143 portfolios reçus suite à l’appel à candidatures
-3 promotions concernées : 2022, 2023, 2024.
Une trentaine d’artistes a été sélectionnée en définitive et ce sur base d’une orientation curatoriale qui s’est orientée sur des œuvres questionnant de manière critique notre relation au monde capitaliste, productiviste et au travail - élément saillant de nombreuses démarches artistiques guidant cette orientation.
Commissaire d’exposition indépendant et autodidacte basé à Paris, Andy Rankin conçoit les expositions comme des protocoles performatifs, activables par lui ou par d’autres, se déployant au fil d’interactions contingentes plutôt que dans la fixité d’un accrochage traditionnel. Sa pratique curatoriale s’intéresse particulièrement aux stratégies artistiques qui mobilisent la destruction, la transformation des matériaux et l’engagement du public, dans une remise en question permanente de l’espace d’exposition et de ses usages. Depuis plusieurs années, il mène une recherche au long cours sur les catastrophes et leurs iconographies, explorant la manière dont les désastres sont esthétisés, archivés ou rejoués dans les discours artistiques et curatoriaux. Cette investigation s’étend aux œuvres disparues, effacées ou inaccessibles, et se cristallise dans Oblivion Collection, une archive en ligne participative dédiée aux traces et aux preuves spectrales de l’art perdu. En s’attachant aux résidus visuels et conceptuels de la destruction, son travail interroge ce qui subsiste, ce qui s’oublie, et comment la disparition elle-même peut devenir un geste artistique.
Diplômée en Humanités et Histoire de l’Art ainsi qu’en Sciences et Techniques de l’Exposition, Manon Klein est chercheuse et travailleuse de l’art indépendante. Considérant l’art et l’écriture comme des outils pour composer des mondes, inventer des langages et stimuler les sens, elle pense l’exposition comme un espace de conscience modifié, où le corps est invité à explorer le flux constant d’informations, d’images, de filtres et de saveurs qui façonnent notre époque. Elle conçoit ainsi des projets curatoriaux et des expériences somatiques auprès d’artistes qui cherchent à ébranler nos certitudes, en imaginant par exemple des réalités alternatives où se rencontrent magie, ombre, et ineffable. Également doctorante en Culture Studies, elle consacre sa thèse (Call-out Culture: Art workers challenging British visual arts institutions from the mid-2010s to the early 2020s) à l’étude de mouvements de lutte menés par des travailleur·euses de l’art contre les inégalités structurelles et les logiques néolibérales à l’œuvre au sein des institutions culturelles. Elle y met en lumière les blessures et désillusions du milieu, mais aussi les forces collectives et créatives qui en émergent pour repenser le travail, la gouvernance et l’éthique dans l’art.
Dans le cadre d’une réflexion engagée autour des conditions de travail et d’émergence des jeunes artistes, un “guide de survie” artistique sera diffusé lors du vernissage. Pensé comme un outil pratique plutôt qu’une publication théorique, ce guide entend répondre de manière concrète aux besoins des étudiant·es et jeunes diplômé·es en art. À travers une cinquantaine de fiches thématiques, il propose des conseils simples, des ressources utiles et des pistes d’action accessibles, à la fois pour s’orienter dans les méandres administratifs et pour renforcer son autonomie professionnelle.
Le guide prend la forme d’un ensemble de fiches au format A5, réparties en deux grandes catégories : les fiches binationales et les fiches transversales. Les premières traitent un même sujet à travers deux contextes juridiques et culturels (la France et la Fédération Wallonie-Bruxelles) afin d’éclairer les différences structurelles entre les deux pays sur des questions comme la facturation, les statuts d’artiste, les cotisations sociales. Les secondes abordent des problématiques partagées, pensées en duo : un même thème, décliné en deux approches complémentaires, autour du réseau, de l’éco-conception, de la migration ou de la présence en ligne par exemple.
Conçue avec la graphiste Clara Bougon, l’édition du guide est à la fois imprimable, duplicable et modifiable. Pour garantir une diffusion libre, l’ensemble des fiches est publié sous licence open source Creative Commons BY-SA. Une page dédiée sur le site du Centre Wallonie-Bruxelles|Paris permettra d’accéder aux liens et ressources mentionnés. En partageant ces outils, le projet souhaite encourager des formes de solidarité concrète entre pairs et soutenir les débuts de trajectoires artistiques trop souvent fragilisées.
Contributeur.ices: ADAGP, Camille Bardin, Tiphanie Blanc, Clara Bougon, Claire Contamine, Evelyne Deret, Sarah Illouz et Marius Escande, Inès Geoffroy, Milène Laforge, Thibaud Leplat, Anne-Catherine Lacroix, Harmonie Tilkens, Manon Klein, Mathilda Portoguese, Andy Rankin, SMAC (Daisy Lambert), Lena Peyrard, Chiara Vella, Delphine Toutain, Margot Nguyen, FRAP, Les îles mardi, SOFAM, B.A.O, Working in the arts, INASTI.
Exposition collective : Sophia Abderrazak (La Cambre 2022) – Ayla Aktan (ESA Avignon 2025) – Renaud Artaban & Alexandre Barbé (INSEAMM & La Cambre 2024) – Ugo Ballara (ENSAPC 2023) – Joséphine Berthou (ENSBA 2024) – Clémentine Blaison Vandenhende (Villa Arson 2023) – Elie Bolard (Villa Arson 2023) – Clara Bougon (La Cambre 2024) – Editions Burn Aout (ENSBA 2024) – Evangeline Font (Villa Arson 2023) – Reem Hasanin (Villa Arson 2025) – Ruoxi Jin (ENSBA 2024) – JINGDI (ENSP 2023) - Lune Jusseau & Tom Rambaud (La Cambre 2024) – Elouan Le Bars (ENSAPC 2024) – Fañch Le Bos (La Cambre 2025) – Rémi Lecussan (ESA Aix 2022) – Raphaël Maman (ENSBA 2022) – Raphaël Massart & Matthias Odin (ENSBA 2024 & ENSAPC 2023) – Sara Noun (ENSBA 2025) – Clarisse Pillard (ENSBA 2025) – Manon Torné-Sistero (INSEAMM 2025) – Marcos Uriondo (INSEAMM 2025) – Maxime Vignaud (ENSAPC 2024) – Winju (ArBA-EsA 2024) – W.I.P. Collective (ARTS² 2022) – Daniel Zduniuk (ArBA-EsA) – Kylian Zeggane (INSEAMM 2023)
ENSBA Paris · ENSPAC Paris Cergy · Villa Arson Nice · ESAAIX Aix-en-Provence · ESAA Avignon · Beaux-arts de Marseille · ENSP Arles · ENSAV La Cambre Bruxelles · ArBA-EsA Bruxelles · ARTS2 Mons
Moquette bleue, néons froids, mobilier standardisé. Une odeur de café fade flotte dans l’air conditionné. Sur les écrans, des fenêtres s’ouvrent en cascade. Les corps se meuvent à peine, enchaînés à des boucles d’e-mails. Les gestes se répètent, les envies se répriment. On ne sait plus très bien depuis combien de temps on est là. Bienvenue dans l’open space.
Son esthétique hante tout un pan de la création contemporaine. De The Office à Severance, de Playtime à Brazil, des catwalks aux vidéoclips, le bureau devient décor d’une performance collective orchestrée par une mécanique invisible. Il est aussi un terrain d’analyse qui obsède la pensée critique : David Graeber interroge la prolifération des emplois vides de sens ; Byung-Chul Han décrit une époque rongée par le burn-out, où l’individu devient son propre bourreau ; Silvia Federici relie l’invisibilisation du soin aux mécanismes d’exploitation; Federico Campagna lit le Travail comme une religion séculière avec ses fidèles salarié·es; Jonathan Crary montre comment le capitalisme tend à supprimer toute temporalité improductive, du sommeil à la rêverie. Tou·te·s décrivent un monde où l’organisation du travail s’infiltre dans les affects, les comportements et les structures de croyance.
Il est d’autant plus évident que les plasticien·nes s’emparent de ces questions que le monde de l’art n’échappe pas à ce contexte. Après les études, la “vie active” y prend souvent la forme d’un enchaînement de jobs précaires, de candidatures chronophages, de projets non rémunérés et de missions floues. Les artistes apprennent à naviguer dans un écosystème compétitif où la créativité cohabite avec l’instabilité. Entre injonction à la visibilité, impératif de rentabilité et intériorisation de modèles d’auto-entreprenariat, iels deviennent à la fois travailleur·euse·s et gestionnaires de leur propre survie. La pandémie de Covid-19 a également opéré un glissement brutal : du studio à l’écran, du collectif au cloud, leurs pratiques ont absorbé les outils et les rythmes du secteur tertiaire. Désormais, à l’ère de l’IA générative et de l’automatisation de tâches créatives, de nouvelles questions émergent : qui crée encore de la valeur ? Qui est essentiel, et qui coche des cases ? Qui, au fond, occupe un bullshit job ?
L’exposition éponyme rejoue, dans sa scénographie même, le simulacre d’un espace de travail corporate. Mais ce coworking fictif est troué de failles, saturé de bugs, hanté par des fantômes. Il devient le théâtre d’une multitude de tentatives de résistance visant à désenvoûter les logiques capitalistes et bureaucratiques. Certaines œuvres font ressurgir les émotions refoulées et les voix étouffées de métiers disparus et d’usines désertées. D’autres inventent des fictions d’entreprise ou se greffent à l’administration pour la faire dérailler. Dans ce paysage instable, peuplé d’insectes mangeurs d’œuvres, et de bots nostalgiques, les team buildings virent au conte dystopique. Les slogans tournent au récit d’effondrement. Par endroits, des rêves d’évasion percent la surface aseptisée du réel, comme autant de lumières au bout du tunnel.
La posture des artistes oscille entre le parasite et le prodigue. Par l’ironie, le glitch, le soin ou la dissonance, iels sabotent les rouages de l’ordre dominant, ébranlant de l’intérieur la promesse du progrès et les mirages néolibéraux. Leurs gestes tracent des lignes de fuite dans un système saturé, esquissant d’autres manières de travailler et d’être ensemble. Dans le sillage de l’intuition de Pignarre et Stengers , elles murmurent qu’« un autre monde est possible ».
Manon Klein & Andy Rankin