Ta résidence à Toulouse, qui s’est déroulée du 1er au 30 juin, a été précédée d’une phase préparatoire de séjour en Bretagne au mois de mai. Quels effets délétères de la prolifération des algues toxiques as-tu pu observer et découvrir dans le paysage et sur la faune et la flore pendant ton séjour ?


Pendant mon séjour de préparation de la Résidence 1+2 en Bretagne, j’ai pu observer la présence de nitrates et de phosphates dans les eaux littorales due à la pollution causée par l’agriculture intensive qui contribue à la multiplication des algues marines.

Ces algues deviennent mortelles lorsqu’en pourrissant de fortes concentrations de sulfure d’hydrogène sont produites. Ce gaz toxique (H2S) est libéré lorsqu’en marchant, on brise la croûte sèche superficielle qui le retient.

J’ai ainsi découvert l’existence des zones mortes créées par les algues devenues toxiques, elles laissent derrière elles des paysages morbides à l’aspect figé, comme hors du temps, lorsqu’elles ne sont pas ramassées et ont donc un impact considérable sur la faune et la flore. Toute forme de vie oxique est petit à petit asphyxiée par les algues dans ces zones, c’est assez fascinant comme les algues peuvent absorber la moindre forme de vie en quelques jours.

J’ai également assisté à des phénomènes étranges ; sur certaines plages, en s’échouant, les algues prenaient au piège les végétaux sur le bord de mer, comme une sorte de toile d’araignée géante qui étouffait petit à petit toutes forme de vie sur son passage.


Comment ta rencontre en Bretagne avec l’écologiste Yves-Marie Le Lay, emblématique militant contre les marées vertes, a-t-elle orienté ta démarche documentaire et photographique ?


Ma rencontre avec Yves-Marie Le Lay fut déterminante, son engagement d’une vie sur la problématique des algues et son implication dans mon projet m’ont beaucoup touchée. J’ai eu la chance d’aller sur le terrain avec lui, sur certaines plages de la baie de Saint-Brieuc, nous avons réalisé ensemble des échantillons de sable et d’eau, lorsque nous creusions dans le sable, il ne subsistait qu’un jus noir, plus de coquillages, de crabes, de vers, alors que ce sont des zones censées être très riches. J’ai ramené ces échantillons à Toulouse afin d’en faire des images et de pouvoir porter un regard sur ces zones invisibilisées.

Grâce à Yves-Marie Le Lay, j’ai assimilé des connaissances autour des algues vertes, l’enjeu était de traduire ces mots par mon propre langage photographique. J’ai par exemple retenu certaines métaphores visuelles : « Derrière le vert, il y a le noir », « Les marées vertes sont les nouvelles marées noires. », « Des plages stériles ».

Je réinterprète ces métaphores visuelles par le biais du medium photographique, en glanant, des déchets, algues, matériaux sur les plages. Je les utilise comme des filtres afin de regarder à travers le prisme de cette pollution. À travers ces matières photographiques, je cherche à créer une atmosphère dystopique et donc à poser question au regardeur sur la nature de cette dernière.


Ta résidence à Toulouse t’a permis de rencontrer le scientifique Frédéric Azémar, spécialiste des milieux géo-naturels et anthropisés au sein du Laboratoire Écologie Fonctionnelle et Environnement du CNRS de Toulouse. Quelle est son analyse des conséquences des algues toxiques sur leur environnement ? De quelle manière cette collaboration a-t-elle influencé ta production ?


Je pense que les conséquences néfastes des algues toxiques sur leur environnement sont les mêmes pour les écologistes et les scientifiques. Néanmoins, il est vrai que la nature est d’une résilience incroyable et c’est ce que j’ai pu observer avec Frédéric Azémar et Josephine Leflaive, scientifiques au CNRS de Toulouse.

Avec Frederic Azémar, nous avons reproduit un aquarium artificiel saturé par la prolifération d’algues (faisant écho à la qualité de l’eau sur les côtes bretonnes lors des marées vertes).

À partir d’un bassin existant sur le campus de L’Université Paul Sabatier à Toulouse, nous avons extrait un milieu en décomposition et l’avons observé à des stades différents d’évolutions.

Je crée dès lors un univers d’hybridation, à travers une captation vidéo macro de la reproduction artificielle des zones mortes en Bretagne.

Je capture un micro-écosystème en pleine évolution dans un milieu sans oxygène où la matière organique est en décomposition et où des organismes vivants perdurent. Cette collaboration m’a permis de poser un regard sur un vivant hybride que l’on ne soupçonne pas et qui devient le sujet principal d’un écosystème science fictionnel dans l’ombre.


A Toulouse, quelle forme de collaboration as-tu développé avec Joséphine Leflaive, qui travaille au sein du pôle Micros Algues du Laboratoire Ecologie fonctionnelle et Environnement ? Comment vos expériences menées se sont-elles traduites dans tes images photographiques ?


Nous avons mis en culture des micros-algues cyanobactéries, connues pour leur toxicité occasionnant des problèmes sanitaires, sur des tirages d’archives de vues du ciel des côtes envahies par les algues ou encore d’animaux morts asphyxiés par le gaz H2S. Par cette mise en culture, j’ai souhaité donner une seconde vie à ces images d’archives oubliées. Sur internet, on ne trouve que 4 ou 5 images d’animaux morts asphyxiés par le gaz alors que la problématique persiste depuis les années 1960. Je rends visible l’invisibilisé en utilisant l’algue comme matière photographique hybride, conséquence de l’invisibilité première.


Pour Toulouse, tu ambitionnais aussi de reproduire un bassin artificiel malade saturé par les algues pour l’épurer.

Comment cette expérimentation majeure va-t-elle résonner et s’insuffler dans les œuvres que tu vas présenter dans l’exposition qui restituera le fruit de ta résidence à la Chapelle des Cordeliers à partir du 14 octobre ?


Lors de l’exposition à la Chapelle des Cordeliers, j’utilise l’espace comme un aquarium géant, reproduisant sur les murs l’évolution du milieu en décomposition dans l’aquarium de Toulouse.

J’ai souhaité que l’exposition s’articule principalement autour des expérimentations réalisées à Toulouse. Le regardeur débute son parcours en découvrant les images de l’aquarium. Il découvre par la suite l’univers macro/micro science fictionnel à travers le film que j’ai réalisé qui montre des organismes hybrides vivant dans un milieu anoxique, capturé en réalité 5.1.

La suite de l’exposition met en lumière les expérimentations d’algues cyanobactéries que j’ai réalisées, cultivées sur les tirages des plages envahies par les algues vues du ciel. En changeant d’échelle, je propose au visiteur d’adopter un autre point de vue afin de contextualiser le sujet.


Comment envisages-tu d’opérer la sélection finale de tes images pour cette restitution ?


J’ai naturellement fait le choix de montrer principalement les expérimentations réalisées à Toulouse. Les recherches et images réalisées en Bretagne qui sont des clefs de lecture nécessaires à la lecture du projet seront montrés à travers une vitrine dans une édition réalisée pour l’occasion.


Propos recueillis par Ariane Skoda

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