Interviews d’artistes du Nova_XX 2021 / 2022 par Sara Anedda
Interviews d’artistes programmées dans la 3ème édition de Nova_XX 2021 / 2022 réalisés par Sara Anedda
Eva L’Hoest
Eva L’Hoest …
…en une date : le 7 août
…en une couleur : jaune
…en une senteur : la sève
…en une mélodie : Sister Irene O’Connor - Fire
…en un.e auteur.trice : Eugène Savitzkaya
…en une référence : Cecil leuter
…en un lieu, territoire : Les Dunes d’Ostende
La place du souvenir et de la réminiscence constitue l’une des matrices de ton travail, elle en donne une densité toute singulière. Pouvons-nous en savoir plus sur le pourquoi de ce fil d’Ariane ?
La mémoire et l’oubli m’intéressent pour leur rapport au temps psychique, à la notion de propriété aussi, mais chacune de mes pièces part d’une série de recherches, parfois d’envies très concrètes, que je confronte aux médiums qui me semblent pouvoir y répondre. Le médium, le geste, la diffusion et chaque étape de réalisation vont amener des imprévus féconds ou non, qui auront une incidence sur la finalité de la pièce, et ouvriront des pistes pour les suivantes.
Pour expliciter ton oeuvre Shitsukan Of Objects, tu cites cette phrase : « Nous estimons ou percevons souvent la qualité des matériaux, des surfaces et des objets, que les Japonais appellent “Shitsukan”, à travers les différents sens. ». Peux-tu nous en dire plus sur ta façon d’appréhender la matérialité des choses à partir d’une certaine sensualité ?
Shitsukan est un mot intraduisible qui exprime l’ensemble de l’activité neuronale qui s’active lorsqu’on décode un objet à travers ses propriétés matérielles. Les neuroscientifiques utilisent le CGI, couplé à des intelligences artificielles, pour mesurer avec précision ce type de proprioception. Ces nouvelles cartographies très précises du cerveau, dont chacun.e porte une signature unique, commencent à permettre le chemin inverse, c’est-à-dire d’interpréter en image ce qui est pensé. C’est quelque part les balbutiements encore expérimentaux d’un cinéma de la conscience.
Oui, le scan 3D ouvre une sensualité inédite aux images de synthèses et je pense que le CGI permet paradoxalement de rentrer en réelle intimité avec la matière. Pour ma génération, les effets spéciaux ont été surtout introduits par le cinéma au service d’une narration. J’aime bien l’idée d’un cinéma qui part de ces antichambres-là, où le temps est suspendu et dont l’architecture est souvent invisibilisée. J’y vois une forme d’outil très complet qui permet d’associer un geste pictural, sculptural, photographique, sonore, qui peut être aussi intime et incarné que l’écriture elle-même.
Au profit de cette œuvre, une collaboration avec des chercheurs.euses en impression 3D basé.e.s à Louvain s’est opérée : peux-tu nous en dire plus? Comment s’est d’une part initiée cette collaboration et comment, d’autre part, tes enjeux de recherches artistiques ont-ilsrencontré les enjeux de recherche de tes complices?
J’ai découvert le procédé il y a des années, c’est une technologie qui est née d’une collaboration entre des archéologues et des concepteurs de logiciels d’impressions 3D. Elle est initialement pensée pour permettre la reproduction à l’échelle 1/1 d’artefacts archéologiques comme des momies, des défenses de mammouth,… La figure imprimée visible dans l’exposition est issue d’une forme de momification digitale. Elle contient des parties anatomiques du Visible Human Project, une expérience où le corps d’un condamné à mort a été digitalisé pour la première fois et qui marque le tournant du premier être humain perçu en tant que biomasse digitale. Je me suis intéressée à sa trajectoire singulière, qui est passée du martyr au sujet pédagogique. Il a ensuite été récupéré par les studios hollywoodiens pour les effets spéciaux, notamment la réalisation d’une scène qui fait référence à Metropolis dans Le 5ième Elément de Luc Besson. Le rapport à la muséologie, au sacrifice, à la momification, répondait à la technologie d’impression. La sculpture était prévue pour les usines Fagor-Brandt à la Biennale de Lyon, donc le rapport à l’industriel et au corps était aussi très présent. Je voulais préserver les supports de l’impression comme traces de l’écriture de la machine, mais aussi pour ce qu’ils apportent comme mouvement et sensation de surgissement de l’image. La sculpture vient de l’échauffement d’un laser dans un bain de résine, j’aimais bien ce lien avec la lumière comme source de sa corporalité.
La collaboration était basée essentiellement autour de la simplification très complexe du modèle et le design des supports qui a dû être ajusté pour ce type de monstration. Le fait de conserver la plaque d’impression d’origine de l’imprimante, les supports, et de réussir à retrouver la transparence du modèle pour rester fidèle à l’aspect de sa sortie d’impression était un défi à relever ensemble.
Sur quel projet à l’heure actuelle es-tu investie ?
ELH : Je poursuis une résidence de recherche auprès des doctorant.e.s et chercheurs.euses du CEMA (Centre d’études des Mondes Antiques) à l’université catholique de Louvain et je travaille sur la prochaine Biennale de Sydney qui se déroulera en mars 2022. Une collaboration se prépare pour la rentrée en Belgique dans un lieu que je ne peux pas encore révéler.
Marjolijn Dijkman
Qu’est-ce que le fait d’être programmée dans NOVA_XX représente pour toi?
J’ai été très inspirée de découvrir NOVA_XX et les autres artistes participants, dont je ne connaissais pas encore les pratiques.
Qu’a représenté pour toi le fait d’être programmée dans une biennale 100% femmes artistes et artistes non binaires ?
C’était une expérience très significative et un honneur de présenter mon travail dans le contexte de tant de grandes femmes et d’artistes non binaires. Dans les domaines où l’art, la science et la technologie s’entrelacent, il y a beaucoup plus d’artistes masculins et le fait de créer une attention particulière dans le cadre de cette biennale est un ajout très significatif et valorisant pour le monde de l’art.
Sur quels projets es-tu investie en ce moment ?
Je travaille actuellement sur différentes expositions à venir en 2022 et 2023. La première est l’exposition collective ‘On-Trade-Off : Charging Myths’ à Z33 à Hasselt (BE), qui ouvrira le 5 mars 2022. On-Trade-Off (OTO) est un projet de recherche collaboratif en cours initié en 2018 par Enough Room for Space (Bruxelles, BE) et Picha (Lubumbashi, RDC). OTO retrace la matière première qu’est le lithium et son rôle crucial dans la transition mondiale vers une économie ” verte ” et sans combustibles fossiles. Le projet explore un large éventail de questions autour des matières premières pour les industries technologiques, la spéculation financière et l’histoire de l’électricité.
Je suis la co-fondatrice de Enough Room for Space (ERforS), une initiative artistique interdépendante qui initie et coordonne des événements, des résidences, des projets de recherche et des expositions dans le monde entier depuis 2005. ERforS agit aussi librement que possible, en plaçant toujours le contexte et l’idée avant le support, en défiant les barrières entre les différentes disciplines (artistiques, scientifiques ou militantes).
Pour plus d’informations, voir : www.enoughroomforspace.org
Kika Nicolela
Qu’est-ce que le fait d’être programmée dans NOVA_XX représente pour toi?
Pour moi NOVA_XX est une plate-forme qui recense certaines des œuvres les plus intéressantes réalisées par des femmes artistes dans le domaine de l’art numérique ces dernières années. C’est un travail énorme et sérieux, et je me sens heureuse d’être sur la liste d’artistes pour cette édition de la biennale.
Qu’a représenté pour toi le fait d’être programmée dans une biennale 100% femmes artistes et artistes non binaires ?
Malheureusement, la représentativité est encore un problème non résolu dans l’art numérique. Je suis heureuse de faire partie d’une sélection d’artistes et d’œuvres qui apportent d’autres visions, au-delà de la perspective de l’homme blanc hétérosexuel.
Qu’est ce qui selon toi distingue le NOVA d’autres exposition collectives numériques ?
NOVA_XX joue un rôle essentiel non seulement en rendant visible le travail incroyable que font les femmes et artistes non binaires dans ce domaine, mais aussi en favorisant les dialogues autour de ces œuvres.
Sur quels projets es-tu investie en ce moment ?
En ce moment je suis en résidence à la Villa Empain / Fondation Boghossian à Bruxelles, en train de développer une nouvelle série – installation vidéo et collages numérique – autour de l’immigration libanaise (et la politique d’immigration) au Brésil, mon propre héritage libanais centré sur la figure de ma grand-mère, la mémoire, la transmission et les femmes guérisseuses.
Je suis également en train de développer deux projets en VR, un en collaboration avec l’artiste François Zajéga et l’autre avec l’artiste Thomas Israel.
Anne marie Maes
Tu as été programmée lors de la 1ère édition de la Biennale (en 2017 / 2018, aux Halles St. Géry à Bruxelles), qu’est-ce que cette programmation a représenté pour toi ?
Ç’a été la première fois que j’étais présentée dans une expo ‘only women’, avec un focus sur art et technologie (dans le sens large du terme). J’ai pu y présenter un aperçu de mon travail comme artiste invitée. Cela m’a donné la possibilité de finalement montrer mon travail en Belgique, et surtout à Bruxelles, ma ville, car toutes mes expos précédentes se déroulaient à l’étranger.
Qu’a représenté pour toi le fait d’être programmée dans une biennale 100% femmes artistes et artistes non binaires?
C’était beaucoup plus relax de travailler dans un environnement féminin. Moins de pression, beaucoup de respect et collégialité.
Qu’est ce qui selon toi distingue le NOVA d’autres exposition collectives numériques ?
NOVA est comme une grande famille. Et surtout l’enthousiasme de l’initiatrice, pionnière et curatrice Stéphanie Pécourt, est contagieux !
Classe, qualité et zéro souci, les équipes trouvent toujours une solution pour tout !
Sur quels projets es-tu investie en ce moment ?
Pour l’instant, j’étudie principalement les qualités des nouveaux matériaux organiques - sous forme d’installation. Et ce, dans l’esprit du New Green Deal et du Bauhaus : expérimental, interdisciplinaire et égalité des sexes.
Claire Williams
Tu as été programmée lors de la 1ère édition de la Biennale (en 2017 / 2018, aux Halles St. Géry à Bruxelles), qu’est-ce que cette programmation a représenté pour toi ?
C’était à un moment où il n’y avait pas beaucoup de lieux de rassemblement pensés par les institutions, qui faisaient quand-même le choix de visibiliser les travaux d’artistes femmes et non binaires dans les arts numériques, donc c’était beau de voir toutes ces œuvres rassemblées pour mettre en lumière nos pratiques, comme une sorte de parole prise et en même temps un constat, mais surtout une prise de position du déséquilibre dans les arts numériques, où beaucoup des programmations étaient quasi 100 % masculines.
Qu’à représenté pour toi le fait d’être programmée dans une biennale 100% femmes artistes et artistes non binaires ?
Cela m’intéresse particulièrement de voir comment les artistes femmes et non binaires se réapproprient ces outils numériques, de ce que cela permet de raconter ou déplier comme mondes.
Qu’est ce qui selon toi distingue le NOVA d’autres exposition collectives numériques ?
Je pense que c’est important de voir ces pratiques rassemblées, car elles sont diverses et empêchent un cloisonnement souvent ennuyeux dans les expositions.
Sur quels projets es-tu investie en ce moment ?
Je suis en train de finaliser une installation électromécanique qui matérialise les enregistrements de l’activité cérébrale de personnes dans des états de comas profonds. Je travaille aussi sur un projet collectif autour de l’exploration de l’éther, au croisement des pratiques des sciences occultes et expérimentales, afin d’explorer notre relation au monde de l’invisible en réactivant des pistes abandonnées de certain.e.s scientifiques et chercheuses.eurs de la moitié du 19ᵉ siècle.
Laura Colménares Guerra
Tu as été programmée lors de la 2ème edition de la Biennale (en 2019 / 2020, au Centre Wallonie-Bruxelles / Paris), qu’est ce que cette programmation a représenté pour toi?
C’était un plaisir de se retrouver dans une exposition composée exclusivement de femmes. Les femmes ont une façon particulière d’appréhender le monde. La sélection des œuvres et la conception de l’espace d’exposition, ainsi que le dialogue entre les œuvres sélectionnées, ont créé un contexte particulier et une aura spéciale de synergies créatives et stimulantes.
Qu’à représenté pour toi le fait d’être programmée dans une biennale 100% femmes artistes et artistes non binaires ?
La Biennale Nova_XX est une reconnaissance du travail artistique des femmes dans le domaine des arts numériques. Au cours de ma carrière, il n’a pas toujours été facile de me frayer un chemin au milieu d’un secteur fortement “masculinisé”. Ces espaces dédiés à la visibilité des femmes dans l’art sont indispensables non seulement pour rendre leur travail manifeste, mais aussi pour éduquer le public et donner au travail des femmes la place qu’il mérite dans l’histoire de l’art et de l’art contemporain en particulier.
Qu’est-ce qui selon toi distingue le NOVA d’autres exposition collectives numériques ?
La qualité du commissariat et la volonté de sa directrice, Stéphanie Percourt, et de son équipe de promouvoir le travail des femmes.
Sur quels projets es-tu investie en ce moment ?
Depuis 2018 je suis engagée dans un corpus de travail qui aboutit à une trilogie qui enquête et expose les menaces sociales et environnementales du territoire de la forêt amazonienne. Le travail est composé d’une application géo-linguistique en ligne / un outil de recherche expérimental qui permet de cartographier les informations liées à la forêt amazonienne sur les médias sociaux et une installation sculpturale en argile imprimée en 3d, représentant différentes zones de l’Amazonie.
Le troisième chapitre est une pièce en VR qui approfondit la situation complexe de l’Amazonie : les populations indigènes ancestrales et le biome de la forêt tropicale sont menacés par les pratiques d’extraction en vigueur dans la région et la commercialisation des produits de base distribués dans le reste du monde.